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Le confinement et son impact : interview de Yann Moullec, directeur du CRL10, centres Paris Anim’ du 10ème

Second entretien de notre série dédiée au confinement, à son impact sur notre activité et aux solutions de rebond que nous expérimentons : nous vous proposons aujourd’hui le témoignage de Yann Moullec, directeur général du CRL10 et des centres quatre Paris Anim’ du 10ème. Merci beaucoup à lui de nous avoir accordé un peu de son temps et merci surtout pour la positivité qu’il développe ici !

Entretien réalisé « On the road (entre Paris et Corbeil-Essonnes) », le 5 novembre 2020

Quel a été au CRL10 l’impact des mesures sanitaires sur l’activité, pendant la période de couvre-feu?

Je te proposerais une analyse humaine plutôt que volumétrique : le gros contrecoup pour moi, je l’ai vécu en considérant le moral de mes équipes, après une saison qui avait commencé dans le dynamisme. Au CRL10 – et plus globalement dans le dixième arrondissement – la période estivale a été une vraie renaissance de nos enthousiasmes, un moment où nous nous sommes retrouvé·e·s dans la création et un service inventif accru offert aux habitants de notre territoire. L’annonce du couvre-feu a figuré une très dure rupture dans la dynamique, durement vécue par nos professionnels. Et naturellement, cela a nécessité des remaniements de notre activité, qui ont été un grand Tétris avec lequel il a été très difficile de jouer, dans l’urgence.

Avec la nouvelle phase de confinement, les locaux du CRL10 sont-ils ouverts pour certaines de vos activités (PIJ, Accompagnement scolaire, etc.) ?

Pour moi, les choses ont été bien pensées par l’Etat qui – au sein d’articles et arrêtés très cadrés et froids – a voulu privilégier les publics que l’on touche par nature dans nos missions : un public jeune (qui manifeste des besoins très forts, en matière d’emploi, de santé, de soutien humain…), et un public plus vulnérable dans nos sociétés, qui grâce à notre agrément social, a justifié de maintenir le lien au sens noble, parfaitement en phase avec nos missions et aspirations. Nous sommes heureux d’avoir cet espace-là, encore disponible, pour mener notre projet.

Durant les deux mois de confinement printanier, as-tu observé des failles et des difficultés pour le maintien du lien social, qui ont été des leçons utiles pour envisager ce nouveau confinement ?

Cela peut sembler paradoxal mais le premier confinement a été pour moi la continuation pleine et entière de notre aventure humaine. Personnels administratifs, animateurs, bénévoles, ce sont avant tout des femmes et des hommes qui ont choisi d’œuvrer au service des autres. Humanité et philanthropie sont au centre de notre projet, ce sont nos valeurs. Avec moi et autour de moi, des femmes et des hommes ont été sidérées. La sidération a été immense, face à la pandémie. Nous ne sommes certes que des humains, avec nos faiblesses. Mais l’effet presque immédiat a été de comprendre qu’en fait, notre union faisait légitimement notre force… Nous devions nous serrer les coudes pour affronter ce que l’on ne connaissait pas et qui nous a impressionné. En tant que directeur, j’ai vu naître un grand mouvement de solidarité, le besoin d’une corporation entière d’être soudée et de s’entraider. Le monde du travail s’avère un terrain propice pour ce type de partage.

Très vite, la nature humaine s’est ainsi montrée créative : nous avons inventé par tous les moyens et avons découvert en nous des ressources insoupçonnées. Au CRL10, nos chargés de projets, nos acteurs de la communication, nos animateurs et agents d’accueil, toutes et tous ont permis de créer du lien nouveau, vers et pour les adhérents et usagers.

Mais ce que je peux te dire, c’est en revanche que je veux à présent éviter le temps perdu. Un temps était naturellement nécessaire, dans cette situation inédite, pour prendre des décisions. Mais ce que je ne veux plus voir, c’est le temps perdu avec des scénarii dont on a déjà eu l’expérience. Le couvre-feu était une étape nouvelle, elle n’a duré que dix jours et a toutefois entamé le moral, car tout le travail mené pour requalifier les activités, cela nous a fait perdre du temps et de l’énergie, occasionnant déception, lassitude et ras-le-bol.

Avec la nouvelle phase de confinement, quelle est la situation actuelle au CRL10 ?

Ma première mission est de fédérer, face à une crise comme celle-ci. Il me faut positiver et trouver matière pour motiver mes équipes. Si tu veux, le « rôle de leader Â» consiste modestement à tirer vers la lumière. Quand je me mets dans cette posture, cela ressemble peut-être à de la méthode Coué, mais je veux envoyer un message et insinuer un comportement. Dans pareil cas, tu as deux voies possibles : soit tu travestis la vérité, soit au contraire, tu en prends pleinement compte et la mets sur la table. En confinement, j’ai mis un point d’honneur à faire des points hebdomadaires, lors de réunions d’équipe ou réunions du personnel. J’ai toujours voulu mettre en évidence la réalité de la situation, sans filtre.

Outre la motivation et la conservation du lien, ce qui anime aussi les salariés, c’est la préoccupation légitime du salaire. Quel peut être le maintien du salaire et pour quelle sorte de pédagogie réaménagée ? Comment et pourquoi peut-on maintenir le salaire… C’était et cela reste un grand enjeu.

Quels outils logiciels et quelles méthodes ont été adoptées pour poursuivre en visio les activités ? Quelles difficultés rencontrez-vous au CRL dans le déploiement des solutions dématérialisées ?

Nous travaillons suivant trois axes, par rapport à la dématérialisation des activités : d’abord avoir un rôle social, c’est-à-dire permettre aux habitants de ne pas cesser d’exister « normalement Â» ; ensuite, le maintien de l’offre de service (qui est lié à la mécanique de notre modèle économique : on doit poursuivre pour continuer de percevoir les subventions) ; enfin, lutter contre le marasme ambiant et affirmer que nos intervenants ont un rôle et une utilité dans la période. Et dans ce cadre, ma préoccupation est que l’offre dématérialisée soit qualitative, que l’expérience usager y soit augmentée et améliorée.

Bien sûr, la dématérialisation requière beaucoup de pédagogie : certains de nos intervenant·e·s sont aguerri·e·s à l’exercice, d’autres ont besoin d’être accompagné·e·s, pour pouvoir continuer d’exercer leur métier… Il s’agit de maintenir l’emploi et le service. Et la salubrité financière de la structure, qui s’inscrit dans un modèle économique particulier.

Comment réagissent les adhérents et les publics, dans la situation actuelle ?

Spontanément, c’est la solidarité qui jusqu’alors a dominé. Les prémisses du premier confinement se sont avérées exactes. Beaucoup de nos adhérent·e·s et usager·e·s ont alors renoncé à leurs avoirs et remboursements, de manière solidaire. Nos usagers ont compris l’importance de leur soutien.

Nous étions attendus par les publics, durant l’été. Et l’enjeu était d’inventer des animations pour les habitant·e·s, dans le cadre de l’opération parisienne « Un été particulier Â», des animations jeunesse, culturelle et sociales offertes aux familles et aux publics. Les équipes des centres du CRL10 ont toujours répondu présentes. Nous avons collectivement fait montre de réactivité et de solidarité. Jusqu’à quand cela pourra-t-il continuer ? Faut-il craindre que les équipes perdent progressivement la motivation ?

Pour moi, les MJC – comme les centres Paris Anim’ – sont des structures qui doivent refléter nos sociétés. Quand nous défendons l’éducation populaire, nous visons l’émancipation des individus. Confronté à une pandémie, nos structures sont confrontées à des changements sociétaux : la société va nous dicter ses propres aspirations et nous allons devoir nous remettre nous-mêmes en cause… Il nous faut être à l’écoute du monde, et les MJC sont de belles chambres d’écho qui ont le pouvoir de transformer et d’améliorer les choses. C’est une conviction qui est très présente, aussi bien dans nos équipes que chez nos adhérents…

Au-delà des activités courantes des centres, avez-vous l’intention de mener des projets culturels spécifiquement liés au confinement ? (Appel à participation artistique, café littéraire, lieu dématérialisé de convivialité ?)

Oui, c’est pour moi très inspirant. Mais au fond, c’est surtout normal et nécessaire. On est toujours inventifs dans pareils cas. A fortiori en crise, on se doit de nourrir la volonté d’apporter au prochain, dans une vision laïque. On doit être animé par la problématique : « qu’est-ce que nous pouvons apporter à notre prochain, qui est un citoyen ? »… On va trouver d’autres ressorts pour défendre des projets et des axes nouveaux, en fonction des besoins de la population ; mais aussi parce que la créativité est toujours essentielle, elle est au cÅ“ur de ce que l’on propose à nos publics.

Comment es-tu parvenu à maintenir – en cette année 2020 – la tenue de tes différentes instances associatives ?

C’est étrange, ce que je vais répondre : cette pandémie, elle n’a fait que renforcer le lien entre toutes les composantes de l’association, à la fois dans les équipes et de manière transverse, entre les différentes fonctions et missions ; les animateurs, les salariés permanents, les chargés d’accueil, les développeurs, la communication, les services comptables, tout le monde s’est montré tel un bloc solidaire. Et le CA et le bureau associatif se sont resserrés aussi. Et la jonction des acteurs bénévoles et professionnels s’est montrée parfaitement opérationnelle chez nous. Ce sont eux tous qui sont parvenus spontanément à maintenir l’intégralité de l’activité associative.

Quelles sont tes craintes et tes espoirs, pour l’avenir ?

Ce que je crains, c’est l’usure, car par expérience, quand on a subi une première déconvenue, on assiste à un phénomène de résurgence. Le rebond avait été bon. Et on reprend le rythme de croisière, après l’euphorie de l’été. Mais une nouvelle dégradation a été ensuite observée. Ce second confinement nous demande de nous réinventer, de créer un nouveau rebond… Mes craintes, ce seraient plutôt celles d’un troisième, d’un quatrième épisode, on n’aura plus nécessairement les forces et on ne pourra plus retrouver l’abnégation. Si le moral – comme le modèle économique – viennent à être endommagés, sans moral ni garanties financières, j’appréhende de ne plus voir ce qui nous reste.
Le problème, c’est que nous n’avons actuellement pas de perspectives, pas de sortie du tunnel prévue. Quand tu es au bord du plongeoir, que tu dois aller à dix mètres en apnée, si tu es un bon athlète, tu sais tes capacités et tu leurs fais confiance. Tu as confiance en toi. Là, on va devoir faire une distance en apnée, mais on ne sait pas quelle est cette distance.

Mesures-tu déjà les conséquences sur 2020-2021 ?

Je ne peux justement pas te le dire. En tant que directeur, la seule chose que je peux faire, c’est de vivre cela comme une aventure humaine, avec son lot d’incertitudes et ses perspectives. Il y aura forcément des mauvaises nouvelles. Mais il y aura forcément aussi toutes les perspectives de réinvention : nous sommes des acteurs incontournables de l’évolution de la société. L’éducation populaire développe de fait – en fonction de ses missions et promesses – un « monde d’après Â». En fait, le premier confinement, on ne le refera plus jamais de la même manière… C’était la totalité de l’activité qui était arrêtée… Sidérés, nous nous sommes posé la question du monde d’après. Puis le monde a repris sa vie d’avant. Au fond de nous-mêmes, on n’a jamais réellement embrayé sur le monde d’après… Mais là, avec le second confinement, tout devient beaucoup plus concret et là, c’est impossible de faire autrement, on va être forcé de changer nos comportements, nos attitudes et nos modèles…

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