Portrait de stagiaire CEPOP#2 : Babacar Sall
Nous vous en parlions, la formation CEPOP a démarré le 19 septembre 2019. Avec ses valeurs d’éducation populaire solidement ancrées, la formation Cadre d’Education POPulaire et des droits culturels permet d’appréhender le métier de de direct.rice.eur de diverses associations ou collectivités territoriales. Cette année encore, elle a su attirer de nombreu.ses.x participant.e.s, dont les parcours singuliers reflètent toujours les préoccupations fondamentales de l’éducation populaire. Rencontre avec Babacar Sall, notre deuxième portrait de cette promotion 2019.
Peux-tu présenter et nous parler de ton parcours professionnel ?
Je m’appelle Babacar Sall, j’ai 56 ans (…). J’ai un parcours que je présente toujours comme assez alambiqué : j’ai eu un parcours académique en relations internationales, ça ne m’a pas tout réussi apparemment (rires), parce que je pense que je n’étais effectivement pas fait pour cela… Je me suis toujours considéré comme un militant, donc parallèlement à mon cursus académique, j’étais toujours présent dans des associations, dans le champ politique, et c’est vrai que je préfère me présenter sous cet aspect.
As-tu été actif dans des structures d’éducation populaire, – MJC ou autres – et quelles y ont été tes missions ?
Je suis un militant de la justice sociale, et de ce point de vue, j’ai toujours été très impliqué dans tout ce qui touchait, notamment, aux sans-papiers. J’ai eu un cheminement avec SOS Racisme, j’ai fait des formations avec Léo Lagrange. Je les combine, je les mets ensemble, parce que ce sont des démarches de terrain mais aussi des démarches plus réflexives à travers des formations. Finalement, je ne me suis pas trop bien trouvé. J’étais dans une structure qui s’appelle Banlieues du Monde, que j’ai dirigé pendant 15 ans, une structure de solidarité internationale, en rupture avec les actions humanitaires – l’humanitaire, ça faisait « trop assistanat ». On a donc conçu cette structure, on l’a mis en place, on l’a développé, et on a amené des milliers de jeunes en Afrique subsaharienne pour faire des chantiers dans tous les domaines : santé, culturel, artistique. En retour, il me semble qu’on a contribué à la réinsertion sociale de beaucoup de jeunes en Île-de-France, et ça a été une réussite totale.
J’ai eu des accidents de la vie qui ont fait que je me suis retrouvé un peu perdu. Dans cette perdition, je me suis retranché sur l’animation encore – c’est la valeur sûre ! – pour être animateur de centre de loisirs pendant quelques années à la mairie de Camargue. Si je peux me lancer des fleurs, ces années m’ont permis de rester jeune, je me suis « coltiné » des enfants pendant un certain temps. Vous savez, les enfants vous rendent très jeune. C’étaient des moments où j’étais en galère économiquement, mais je pense que j’ai beaucoup appris concernant les enfants. En 2015, je me suis réinterrogé sur mes actions, et je suis allé faire une VAE – Validation des Acquis de l’Expérience -, j’ai eu des accidents de la vie, mais aussi beaucoup de chance, par des rencontres ; la chance de faire connaissance avec une structure qui m’a aidé, pendant deux ans, à me poser pour faire ma VAE (…). Je pensais être sorti d’affaires [après cette période] mais j’ai eu du mal à trouver du travail, parce qu’en réalité, le diplôme ne m’ouvrait pas, comme je pensais, les portes ou les structures où je pensais proposer mes services. (…)
Comment as-tu pris connaissance de la formation CEPOP ? Et pourquoi avoir fait cette formation ?
Pendant deux ans, de 2017 à 2019, je me suis laissé vampiriser – j’aime bien ce terme-là – par le monde politique où je suis allé dans le combat politique, ici en France, mais aussi au Sénégal, pour les élections. 2017, c’était l’élection législative du Sénégal, et 2019, c’était l’élection présidentielle. Pendant ces deux années, je n’ai pensé à rien d’autre que me donner pour mon pays d’origine. Je ne vous parlerai pas du succès qui en a découlé (rires), mais au bout de ces deux ans, je me suis dit qu’il fallait bien que je pense à ma pitance familiale, parce qu’au passage, je suis père de 5 enfants, et vous voyez ce que ça implique comme obligations. J’ai repris mon bâton de pèlerin pour chercher du travail, et je suis tombé par un heureux hasard sur cette formation. A la lecture du document descriptif (…), je me suis dit : c’est ce qui me correspond, et correspond réellement à mon parcours. Je ne connaissais pas les MJC au départ, je les ai découvertes comme ça et j’ai postulé tout de suite, et dans un délai très court, j’ai proposé ma candidature à cette formation avec une lettre de motivation et mes références sur CV, et vraiment, j’aurais tout donné pour être dans cette formation. J’en suis là aujourd’hui, je l’ai intégré le 16 septembre, et je suis heureux d’y être.
L’éducation populaire : qu’est-ce que c’est pour toi ? A quelles valeurs de l’éducation populaire es-tu le plus sensible ?
L’éducation populaire, c’est être au service de la justice sociale. C’est comme ça que je le conçois, et depuis que je suis rentré en France, je me rends compte que c’est effectivement ça, c’est vraiment être militant. Souvent, d’ailleurs, dans mon parcours de militant, on nous renvoyait des messages comme si on était des doux rêveurs. Cette formation me permet de me rendre compte que non. On est vraiment dans la transformation sociale de la société. Cette transformation sociale est difficile, elle n’est pas mesurable comme ça, mais je pense qu’elle est nécessaire pour qu’on donne un sens à ce que nous faisons, qu’on ne soit pas des humains robotiques mais qu’on puisse exister à travers nos opinions, nos convictions, et qu’on puisse amener ça dans la société. Si je peux résumer – parce que je suis bavard – c’est être un militant de la justice sociale (…) avec des valeurs humaines et qu’on soit dans le respect, dans l’échange, dans le partage de valeurs qui nous sont communes en tant qu’humains, et dans l’ouverture.
L’intitulé de la formation inclut le concept de Droits Culturels : comment appréhendes-tu ce concept, qui a une importance grandissante actuellement ?
On n’a pas encore abordé ce sujet dans la formation. Pour moi, les droits culturels, ça rejoint ce que je disais tantôt, ça rejoint toujours la justice sociale. Vous savez, moi, j’ai une autre casquette – je n’en ai pas parlé – j’étais tourneur de spectacles et je m’inscrivais dans la diversité culturelle donc j’amenais des groupes depuis le Sénégal, je les ai amenés en Europe, et je veux dire que ça a été très difficile avant même que je considère ce concept de diversité culturelle, je l’ai vécu. Je l’ai vécu parce que j’ai vu toute la difficulté d’arriver à amener une musique d’ailleurs sur le territoire européen. J’ai été confronté à beaucoup d’obstacles, pas au niveau de l’opinion, du public comme on a l’habitude de dire mais au niveau de l’administration, qui a été souvent réfractaire à ce développement d’échanges. (…) Les droits culturels, c’est les droits de chaque humain de vivre sa culture comme il l’entend, et surtout, être dans un partage de cette culture – de ne pas s’enfermer, et de profiter de ces différentes richesses.
La philosophie de la formation se veut très orientée sur la co-construction : comment se manifeste, dans les premiers jours, le fait d’être acteur de sa formation, au même titre que les enseignants et intervenants qui l’animent ?
J’ai fait beaucoup de formations, ça a souvent été une valeur-refuge. Quand je ne savais plus quoi faire, j’allais faire des formations (…). Je peux dire que cette formation est assez atypique. Ce n’est pas une formation descendante comme on dit, où on reçoit de l’information, des outils, etc. C’est une formation qui interroge systématiquement, au quotidien, ce que nous faisons. On est interrogé en permanence sur le sens que nous donnons à ce travail, aux actions, aux activités que l’on mène sur le lieu de travail. Effectivement, c’est en co-construction parce qu’il arrive régulièrement que Max [Leguem, directeur de la formation] arrive avec un plan de travail défini, on rentre dans ce canevas et on y amène du sien, on amène nos interrogations, on le restitue ensuite à Max. C’est très riche parce qu’on apprend de nous-mêmes. Vous savez, la formation c’est un public très divers, très riche, mixte, où on apprend des uns et des autres et où on apprend de nos différent.e.s intervenant.e.s.
Peux-tu décrire la structure qui t’accueille en alternance ? Comment as-tu été intronisé au sein de cette structure ?
Je suis à l’ASTI, l’association de Solidarité avec Tous les Immigrés qui est située aux Ulis. Qu’est-ce qu’on fait à l’ASTI ? Il y a plusieurs ateliers : ateliers de couture, ateliers d’alphabétisation, ateliers emploi, et tout cela concourt à faire rencontrer l’étrange étranger (rires) avec cet environnement qu’il découvre. Cela crée un échange qui permet qu’on puisse mieux vivre, se supporter dans le sens positif, comprendre et vivre avec l’autre. Vivre ensemble. Il y a une permanence juridique, c’est l’axe principal de l’ASTI. (…) C’est une structure qui accueille les migrants, qui les aide dans leurs formalités administratives.
Quels sont tes espoirs et tes envies pour la suite de ton parcours ?
Pour dire vrai, je ne suis pas quelqu’un qui fait des plans sur les comètes. Je pense qu’après la formation, je ferai ce qui m’intéresse personnellement, je serais beaucoup plus militant que jamais, c’est ça l’important pour moi (…). Ce qui m’importe, ce n’est pas un plan de carrière, c’est d’être meilleur dans ce combat – qui demeure toujours – de justice sociale.